On peut, on doit, simplifier les artifices rhétoriques pour comprendre un concept.
Parmi toutes les significations du mot radical, en grammaire, algèbre, politique et même santé, le terme a la même charge sémantique :
La radicalité, c’est le résultat de l’application intégrale d’un principe, d’une conduite, d’une politique, d’une forme de pensée, d’une conviction religieuse, etc…
En matière religieuse chrétienne, le chemin part de l’intérêt, sorte de curiosité sensible, puis passe par la catéchèse, apprentissage des principes et faits fondateurs, l’approche néophyte pré-baptismale et enfin le baptême signant l’entrée dans la communauté. Puis, en fonction de chacun, l‘interprétation et ses éventuels excès, des textes qui ont fait loi pendant des siècles.
Dans la réalité des religions monothéistes, le processus n’est pas nécessairement aussi systématiquement balisé et les portes sont plus tolérantes quant à leur ouverture. Il s’agit le plus souvent d’attester sa foi, de façon claire et univoque pour devenir chrétien ou musulman. Pour des raisons historiques bien connues, le judaïsme est d’une approche plus prudente et peut-être plus subtile. Entre autres, le fait que le prosélytisme n’ait pas été, dans l’histoire de l’Occident, un souci du peuple juif, traité le plus souvent en paria, bien qu’accepté avec bienveillance par certains pays.
Après son adoption, l’individu a toute liberté, comme d’ailleurs dans sa vie profane, pour situer la quantité et la qualité de son engagement. En matière d’islam, le Salafisme, par exemple, n’est autre que la volonté d’appliquer les préceptes de la religion selon les dogmes des origines (salaf : ancêtre). Comparable à l’orthodoxie chrétienne ou à la Réforme. Les adeptes, comme individus, selon leur libre arbitre, ne sont pas nécessairement pour l’application intégrale des peines prévues par le droit coranique. Mais ils sont, pour la plupart, convaincus que la fidélité et le salut résident dans l’application des dogmes originaux.
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C’est là que réside la difficulté. Le Coran a été écrit au cours de l’action réformatrice de Muhammad ben Abdallah, le « Messager », dans une région du monde sans autres lois que celles des chefs de tribus dont les membres s’entretuaient sous n’importe que prétexte, tel le partage d’un point d’eau ou d’un pâturage, ou même d’un propos jugé insultant, etc…
Le grand mérite de Muhammad a été de transformer les liens de sang dans les tribus en liens de foi unificatrice. C’est cette ouverture d’esprit qui a donné naissance à la grande civilisation Arabe à laquelle la culture européenne doit tant. En ce sens, Muhammad est un bienfaiteur de l’humanité.
Mais cette unification dévote à un seul dieu ne suffisait pas pour effacer les rancœurs séculaires entre les tribus et le Messager a dû imposer légalement des mesures, pour part, selon lui, d’inspiration divines, très sévères et d’autres comme évoluait la sociologie locale, davantage adaptées spécifiquement aux mœurs du temps et dans certains cas, aux nécessités politiques de son action. Dès lors que les textes communiqués par Muhammad étaient selon lui des révélations divines, il n’a plus été possible de les modifier par la suite, ce qui a beaucoup préoccupé – et préoccupent toujours – les exégètes musulmans et la Tradition.
Aujourd’hui, compte tenu de l‘évolution de l’humanité, il devient difficile, voire impossible, d’appliquer les préceptes du Coran en Occident. Aussi, ceux qui, par fidélité au texte qu’ils considèrent sacré dans son intégralité et sa rigueur se trouvent, de manière quasi mécanique, hors de la pensée dominante de leur communauté mais hors aussi de la plupart des lois nationales et internationales, même celles de pays eux-mêmes radicaux.
Les juifs ont aussi, dans leurs textes sacrés, des dispositions étonnantes pour l’Homme du XX° siècle. Si on appliquait aujourd’hui le « Celui qui maudira son père ou sa mère sera puni de mort » (Matthieu 15 :4) que l’on retrouve aussi dans l’Exode, nous aurions une effroyable hécatombe.
L’inquisition chrétienne aurait quelques difficultés aujourd’hui à avoir l’aval populaire.
Il ressort de ce qui précède que l’application stricte de textes anciens, écrits et imposés dans des circonstances particulières voici des siècles est, avec l’évolution des mœurs et de l’Histoire, devenue inacceptable de quelque façon qu’on tente d’interpréter ces écritures.
Mais force est de croire que ceux qui s’en inspirent pensent qu’ils ont retrouvé une légitimité et ils agissent en conséquence.
La légitimité sociale des états civilisés est contemplée et inscrite dans la Loi. Toute personne ou communauté qui prétend agir ou susciter une agitation, sur le fondement de textes ou traditions qui n’ont pas la légitimité de la loi sont donc hors-la-loi et punissables. Ils doivent être appréhendés, jugés et punis en fonction de la gravité des actes commis.
Les musulmans radicaux sont donc en Occident dans une position difficile : renier leur conviction radicale ou être en permanence suspectés d’être capables d’agir selon leurs convictions et éventuellement commettre des actes répréhensibles, voire criminels au regard des lois de leur pays hôte. Une telle situation est d’un inconfort insoutenable à longue échéance. Ce serait vivre en permanence dans une dynamique schizophrène, susceptible de perturber un équilibre mental mis à mal par « tant et temps » de doutes et de contradictions intérieures qu’il deviendrait pathologiquement compréhensible qu’il génère des actes mal ou pas contrôlés.
Ne resterait qu’un choix : trouver une source apaisante, dans le cadre de l’Islam – il n’en manque pas – ou choisir de vivre dans un pays ou le radicalisme est courant. Il n’en manque pas non plus. La seule mauvaise solution est de ne rien faire, ce qui équivaut à être porteur d’un danger dont on ne sait rien du devenir.
Mais confier des responsabilités regardant la sécurité de l‘état à des musulmans radicaux est, au mieux, une grande naïveté, au pire une grave stupidité, dont les responsables doivent être prudemment écartés des responsabilités des affaires publiques.
Chacun peut avoir ses convictions morales, religieuses ou politiques. L’erreur est de ne pas comprendre l’inadéquation entre ces convictions et celles de ceux qui ont choisi un chemin de vie différent, réglé par des lois qui ne peuvent être ignorées sous peine de châtiment et de déséquilibre social grave.
Un autre effet pervers du radicalisme islamique, est qu’il perturbe la société musulmane paisible elle-même, car les populations hôtes, généralement peu instruites des spécificités religieuses, de leurs tendances et de leurs conséquences, amalgament les populations islamiques paisibles et soucieuses d’une vie citoyenne intégrée, pour elles et leurs enfants, avec les dangereuses dérives des théoriciens et acteurs de l’islamisme radical. De nombreuses voix de cet Islam serein se sont élevées contre la présence et les actions de ces tendances nuisibles à la paix et la bonne entente.
Le Gouvernement et les Chambres ont un problème difficile à résoudre : légiférer sur les mesures à prendre sur des présomptions de possibles passages à l’acte d’individus connotés comme radicaux, mais à qui aucun acte répréhensible ne peut être imputé. Il ne peut s’agir à ce niveau que d’application du principe de précaution. Dans d’autres domaines, comme celui des violences conjugales, il est possible de prendre des décisions d’éloignement, mais dans les cas évoqués ici, où l’individu peut être dangereux où qu’il soit, quelle position adopter ? Pour les étrangers et les binationaux, l’expulsion du territoire national est possible, mais le cas est différent pour les radicaux musulmans de nationalité française, intouchables sans acte justifiant une décision d’emprisonnement. De plus, on connait les effets de radicaux islamiques dans les centres pénitentiaires.
Il est donc à craindre que les seules mesures préventives restent les tentatives de déradicalisation et une attention encore accrue sur le contrôle des migrants et demandeurs d’asile, accompagnées, évidemment de beaucoup plus de moyens pour les services de renseignements, comme pour ceux en charge de la surveillance aux frontières.
L’ensemble du problème est visiblement difficile, mais probablement encore à son tout début.
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Les conséquences économiques pour des pays musulmans amis, comme le Maroc ou la Tunisie sont très sensibles, pour l’importance du tourisme dans leur économie.
Leur hospitalité proverbiale et l’excellence de leurs services d’ordre et de renseignement auront bientôt de la peine à contrebalancer la publicité –malheureusement nécessaire (le citoyen a le droit de savoir) – donnée par les médias aux événements criminels d’extrémistes qu’il faut peut-être cesser de qualifier de religieux. Qu’on pardonne le pédantisme, mais le mot « religieux », du latin religare « relier » (les fidèles entre eux) est peu applicable à des gens qui divisent davantage, à chaque acte dramatique, une religion qui, comme la plupart des autres, a déjà ses schismes.
De bons esprits pensent que les crimes des extrémistes islamistes sont des actes de guerre et qu’ils devraient être jugés par des tribunaux militaires spéciaux rétablis dans cette optique sur la base d’un code ad hoc.
Merci pour cette analyse très intéressante qui utilise la profondeur historique pour mieux comprendre l’étendue et la complexité des enjeux actuels liés au religieux