L’âme noble ne cherche pas à se mentir. Le premier devoir envers soi-même est la sincérité.
Les six champs à visiter :
- La peur,
- La douleur,
- L’incertitude,
- Les autres,
- L’idée de mort,
- L’incidence du temps.
La peur.
Sans la peur, l’espèce humaine aurait disparu depuis longtemps. En fait, elle n’aurait pas pu se développer. La peur est le premier mécanisme de l’instinct de conservation dont seuls les imbéciles sont dépourvus. En matière de survie, c’est le premier mécanisme intelligent fondamental. Tenter d’ignorer sa peur est aussi vain que nuisible.
Il faut l’accueillir, la laisser entrer, comme la compagne familière qu’elle est et qu’on doit, comme telle, laisser s’exprimer. Tant qu’on la conscientise, elle est un outil utile. Essayer d’y échapper c’est la pousser dans l’inconscient, où elle pourra faire des ravages hors de notre contrôle, car nous n’avons pas accès à cet autre nous-mêmes. Si nous n’ouvrons pas grande la porte à la peur, nait alors son sous-produit le plus nuisible : la peur d’avoir peur.
La douleur.
C’est la seule vraie lutte qui vaille. La seule bataille à livrer.
La seule bataille perdue d’avance est celle que les hommes s’obstinent à mener, en dépit de toute logique, contre la mort. Cette seule mesure égalitaire décidée par la nature sur cette planète n’a de singularité que sa date, différente pour chaque être biologique. Mais la douleur est la grande affaire de la médecine bien comprise. La pharmacopée compte une abondante liste d’antalgiques, avec divers degrés d’efficacité et de toxicité. L’équilibre, quelques fois délicat à trouver entre ces deux principes est l’affaire du médecin, aidé par son patient, dans cette entente entre une conscience et une confiance, qui est le terrain d’entente entre traitant et traité. Curieusement, l’intelligence a aussi son mot à dire : aucun organe ne peut éprouver de la douleur par lui-même, celle-ci est traduite, à partir du dérèglement de l’organe, par le cerveau. On sait, depuis longtemps, que l’aide du cerveau est importante dans la réduction de la douleur : on anesthésie en acupuncture, des gens dans certaines civilisations, marchent sur des braises, d’autres s’abstraient du monde douloureux par la méditation, etc. Sans prétendre atteindre à ces domaines spectaculaires, certains aphorismes, comme des respirations contrôlées, des utilisations de pensées singulières, l’hypnose, etc. plus à la portée de chacun, sont des modes de réduction sensibles de la douleur, quand elle ne cède pas aux traitements médicamenteux.
L’incertitude.
C’est l’incertitude qui génère l’anxiété et l’anxiété l’angoisse. Et l’angoisse, en plus de l’inconfort qu’elle suscite, alimente la peur.
Là, l’exigence de vérité est totale. L’incertitude est un sentiment diffus, nuisible, lassant, parce qu’on « le laisse faire ». Prendre à bras-le-corps une situation d’incertitude est assez facile et très profitable. Et l’analyse, dans le domaine de la maladie est le plus souvent claire. Les méthodes d’investigation, de diagnostic et de pronostic en médecine sont assez rigoureuses pour qu’on leur fasse confiance. D’où il découle que l’incertitude n’est que la somme de ce que le patient ne veut pas voir, ou accepter. Mais la science n’est pas le domaine de l’incantation, mais celui des faits. Il faut laisser « entrer » les certitudes comme on a laissé entrer la peur. Rendre les sources d’incertitudes objectives, c’est tuer l’incertitude, tourment inutilement délétère.
Les autres
Cette autre part de nous-mêmes que sont « nos » autres (rappelons-nous que nous sommes tous « les autres » de quelqu’un), ont aussi leurs peurs, leur douleurs, leurs angoisses, leurs incertitudes et que dans le commerce que nous entretenons avec eux pendant nos maladies, nous ravivons chez eux ces états douloureux qui les intéressent avant les nôtres. Et, quand ils sont hors maladie, c’est la peur d’y entrer que nous stimulons. Nous sommes donc, malades, des facteurs dérangeants pour nos proches. Bien sûr, la tendresse, la compassion, l’amour qu’ils nous portent font qu’ils sont affligés par notre souffrance, ce qui est une charge supplémentaire ajoutée à leurs propres angoisses existentielles.
C’est pourquoi, de façon instinctive, la plupart des malades se sentent seuls, même entourés de leurs « êtres chers ». Qu’il nous souvienne encore que de nombreuses fois dans notre vie, nous avons été les « êtres chers » de quelqu’un.
La mort.
La mort et un non-événement. Semblable à un point en géométrie, elle n’a ni espace, ni temps. La mort n’a pas « lieu ». L’être est vivant, puis il n’est plus. Personne ne peut savoir qu’il meurt et encore moins qu’il est mort. Pour le vivant, la mort n’arrive jamais. Ce ne sont que ceux qui restent (pour l’instant), qui constatent que cet endormissement a été l’ultime. Le sujet lui-même ne peut – et ne pourra jamais – vivre sa mort. On ne peut donc, objectivement, mal vivre un événement qu’on ne vivra jamais. C’est ainsi que notre vraie mort est derrière nous et que, depuis notre naissance, elle s’approprie chaque minute de notre vie. Et pourtant, cette mort-là, la seule vraie, que nous vivons à chaque instant, ne fait peur à personne. Ce qui est normal, car il eut été injuste que la nature, assez bien faite, eut disposé qu’un événement naturel fût effrayant pour l’être intelligent.
L’incidence du temps.
La science s’est scandalisée, au début du XX° siècle, quand Albert Einstein, dans une implication de sa théorie de la Relativité, mettait en cause le temps comme valeur stable, linéaire, d’égale teneur en tout temps et en tout lieu, depuis et pour l’éternité.
Pourtant chacun se rend compte, de tout temps aussi, qu’un moment sur un fauteuil de dentiste ou dans les bras de l’être aimé ne laisse pas le même souvenir. Qu’une heure d’attente ou une heure d’action passionnante ne produisent pas le même effet.
On objectera que le temps mesurable en physique et le temps subjectif des choses de la vie ne peuvent être comparable. L’un est la mesure du déroulement d’un événement, l’autre celle d’un sentiment, de la perception, du ressenti des choses de l’existence. Bien, mais finalement lequel des deux a le plus d’importance pour le vivant ?
La mort rendant tout absurde, puisque pour le sujet, après celle-ci, qu’il ait vécu deux ans ou cent ans, ne fera aucune différence, ce qui peut avoir une importance, c’est la « valeur » du temps vécu, non le temps calendaire. Peut-on voir un avantage à 100 ans de vie misérable sur 20 ans de vie heureuse, ces deux vies achevées ?
Maladie grave et Noble raison.
Les maladies, graves ou bénignes, sont la vie. Un accident mortel est une maladie incurable qui dure une ou deux secondes.
Pour l’âme noble, la maladie même très grave, n’est pas la mort. Comme pour la logique.
Sortir d’une maladie grave en l’ayant mal vécue laisse souvent plus de conséquences psycho-affectives néfastes que la maladie elle-même. On compte par milliers les analyses psychologiques qui montrent que d’anciens patients de maladies graves ont vécu le reste de leurs jours dans une détresse qui leur a fait regretter que leur maladie n’eut pas été fatale.
L’optimisme ne coûte rien et l’impossibilité d’en user est le plus souvent dû à l’effet de la peur de la mort, comme si la mort était un des deux chemins réservé au vivant, l’autre étant l’éternité.
Comprendre ce qui précède, c’est améliorer son mental, bien plus important dans les circonstances difficiles que l’intelligence.