Le monde occidental est sourd. Entêté comme un bœuf qui suit son sillon en tirant la charrue, il va, droit devant lui, s’enfonçant chaque jour davantage dans son égoïsme, sa frivolité, son indifférence aux réalités d’un monde qui souffre.
L’autre monde, privé de tout, produit des enfants qui arrivent encore à rire, sûrs que leurs parents ne pourront pas manquer d’amour au point qu’ils manquent, eux, de nourriture. L’éducation libératrice, les soins sanitaires minimaux, la formation à un métier utile, rêves hors de portée, évoquent, en creux, le chômeur des pays du Nord qui refuse un emploi parce qu’il n’est pas exactement ce qu’il souhaite, tout en restant à charge d’une société dont les dogmes ressemblent tellement à de la criminelle bêtise que ce doit en être.
Le grave problème du budget des prochaine vacances, du rééquipement des enfants pour une rentrée qui n’en serait pas une sans le dernier sac à dos à la mode, l’anorak fluo qui détrône celui, noir-mode de l’année dernière, le changement imminent de cette voiture qui a déjà deux ans et la prévision, avec la prochaine prime de rentabilité, de l’apport initial du 4X4 de madame, tellement indispensable, avec son nouveau système de parking automatique, qui permet (enfin) de fumer, d’une main et téléphoner de l’autre sans emboutir les deux voitures, devant et derrière, qu’on est obligé de laisser sans la carte de visite de courtoisie, après leur avoir détérioré le parechoc, afin de ne pas souffrir d’un malus injuste.
Dans le même temps, mais plus au Sud, le père de famille qui n’a pas pu trouver aujourd’hui un travail quelconque, rentre chez lui en se maudissant pour revenir les mains vides. Quel miracle devra faire sa femme pour que les enfants n’aillent pas au lit le ventre vide ?
La plupart des pays avancés sont réglés par un Droit dont la première préoccupation porte sur la protection de la propriété, quand le droit coutumier de ces autres pays tente, par une mise en commun généreuse, de survivre, selon l’élémentaire principe : vivre maigre ou mourir.
Ces « autres » pays reproduisent, un étage plus bas, le même triste syndrome pathologique de l’ouïe : ils sont sourds. Leur « bonne société », faite d’élèves assidus du monde occidental, en ont compris et assimilé la surdité : dans de somptueuses villas, ils sont sourds à la misère qui les entoure et, quand ils la voient, ce n’est qu’avec l’indifférence du propriétaire de belle voiture qui passe sans ralentir devant l’auto-stoppeur.
Et dans les « autres-autres » pays, sans villas somptueuses, la surdité sévit aussi : puisqu’il faut une différence entre les sourds et leurs victimes, ce que l’argent, absent, ne peut générer, tous les dogmes – politiques, religieux, sociaux – y pourvoiront, comme capital, pour ceux qui les imposent, par la violence.
Les poupées russes ne sont peintes qu’à l’extérieur.