Vers trois ou quatre ans, ils savent à peine marcher qu’ils ne veulent plus « donner la main ». Ils veulent avancer quelques mètres devant (ou derrière) mais on n’est plus des enfants, tout de même !
De huit à douze ans, il faut un passeport pour entrer dans leur chambre. A quoi ça sert de grandir si on ne peut même pas arranger ses affaires selon notre goût. On voit mal ce que ça change à cette culotte qu’elle soit par terre ou sur une étagère.
De douze à seize ans, ce n’est même pas la peine d’essayer : si les parents pouvaient comprendre quelque chose à leurs enfants, ça se saurait. Comme il ne peuvent pas liquider leurs conflits entre eux, ce sont les gosses qui trinquent.
De seize à vingt ans, comme il y a longtemps qu’ils ont oublié à quoi ressemble un coup de foudre, trop occupés par leur boulot ou leur nouvelle bagnole, ils ne comprennent pas qu’on veut seulement les épargner en refermant en catastrophe l’ordi portable ou le mobile. Ils croient qu’on leur cache des choses inavouables qui ne sont pas le dixième de ce qu’ils ont fait à notre âge.
De vingt-cinq à quarante ans, on a autre chose à foutre que de s’occuper de ces merdeux qui ne se rappellent que nous existons que pour nous demander du fric ou la clé de notre bagnole. Quant à nos vieux, ils s’attendrissent au téléphone en parlant aux gamins, mais quand on leur demande de s’en occuper une semaine pour qu’on puisse décompresser, tu croirais qu’on les menace de mort par fatigue et ingratitude.
De quarante à soixante ans, si tu ne veux pas te retrouver dans la merde à la retraite, tu as intérêt à pas pleurer les heures sup au bureau et la pression est telle que si tu te défoules un peu avec la nouvelle qui veut grimper plus rapidement dans la hiérarchie, ce n’est quand même pas la mort ! D’autant que celle qui te ferait une scène abominable si elle le savait est arrivée à l’étage du haut de façon trop rapide pour ne pas être suspecte.
De soixante à quatre-vingt, tu te réalises enfin pleinement par le cumul des activités : la vie, quoi ! On te colle tes enfants et tes petits-enfants juste au moment où tu projetais d’aller voir un pays de rêve, on commence à faire des allusions à propos de ta manière de placer ton fric, de faire telle véranda-jardin d’hiver dont tu rêves depuis longtemps quand on sait ce que ça coûte, alors qu’en plaçant cette somme, tu ne t’enrichirais peut-être pas mais tu serais sûr qu’elle serait à l’abri. Tu vois ce qu’on en a à foutre quand tout te dit depuis que tu commences à avoir de la peine à pisser, que l’avenir risque de ne pas être rose.
Après quatre-vingts ans, si tu as la chance de ne pas douter que c’est bien toi que tu vois dans le miroir, tu as intérêt à cultiver ta compétence aux jeux de société, à préparer le paquetage, type pour partir à l’armée, et acheter un livre sur la méditation et la patience – en plusieurs volumes – si ce qui t’importe, c’est de voir tes gosses de temps en temps.
Mais le truc que tu ne comprends pas tout de suite, en fait que dans la dernière étape, c’est que tous ces gens, occupés par leur nombril sont la même personne, chacun d’entre nous, moi, toi, quel que soit notre âge !
Les périodes de la vie, d’une vie, où de toutes les sociétés ne sont pas des espèces (avant on disait races) différentes. Chacun est en soi un bébé, un ado, un homme/femme (pardon femme/homme, ladies first !) une personne mure, un vieillard, un mort.
Si tout le monde se pénétrait de cette réalité, ce serait peut-être le début du commencement d’à peine l’amorce d’une intercompréhension entre les générations.
Par exemple : ce vieux con que je vois assis sur ce banc du parc, c’est moi, dans pas longtemps, quel que soit mon âge, à la vitesse où passe cette farce qu’est la vie. Ce travail de prospective permettrait de mieux préparer, à chaque étape, l’étape suivante.
Et la meilleure façon de préparer ça, c’est de se mettre dans la peau de l’autre, comme dans un simulateur de vol. Tu apprends, sans être encore en danger, cool, sans stress. Chez les humains, ça s’appelle de l’empathie : une sorte d’altruisme intéressé (pour l’autre et pour soi) qui est le plus beau sentiment, après l’amour.
Exemple concret (vu à la télé, à propos du masque)
4 filles entre 18/20 ans dans la rue et une reporter TV-trottoir.
La reporter :
- Vous ne mettez pas de masque ?
- Ben non, retorque une fille.
- On n’en a pas besoin, enrichit la deuxième.
- On est jeunes et en forme, donc, pas de problème ! conclut la troisième.
Il ne vient pas à l’esprit de ces petites connes qu’elles n’en mourront pas, mais qu’elles seront contaminées et qu’elles tueront leur mère ou leur grand-mère, ou plus, si affinité.
Si cela arrive, elles n’en dormiront plus jusqu’à ce qu’elles soient grand-mères.