Le Comité olympique international faisait savoir, naguère, que le Judo était la meilleure discipline pour la formation physique et mentale des jeunes de 7 à 20 ans.
Comme judoka pratiquant depuis 78 ans et enseignant depuis 60 ans, je demande solennellement au CIO de nuancer cette affirmation au plus tôt, car cette discipline, telle qu’elle parvient au public à travers le domaine de la compétition, a perdu son âme.
Les aspects physiques, d’abord.
A l’origine, le principe-même du Judo, un des deux aphorismes fondamentaux, « Seryo ku zen yo » (le meilleur emploi de l’énergie) proposait une méthode de combat intelligente, par laquelle la taille ou le poids des deux partenaires perdaient beaucoup de leur importance, et permettait au théoriquement moins fort, de vaincre. Dès lors, la force brute était moins déterminante et chacun, quelque soit son capital dans ce domaine, pouvait cultiver, par son intelligente pratique, sa capacité d’égaler, vaincre parfois, un adversaire plus puissant ou plus lourd.
Malheureusement, le Judo a changé, par l’introduction de catégories de poids (3, puis 5, puis 7) de telle sorte que les partenaires d’une catégorie n’ont plus affaire, en compétition, qu’avec des gens de leur taille et poids moyen. Le plus petit qui peut vaincre le plus grand a vécu. Sans compter la perte d’apprentissage que permet la confrontation avec des partenaires de taille et poids différents.
Les aspects mentaux.
Pendant un temps, en Europe, un partenaire pouvait gagner un combat par Ippon (point) ou waza-ari (demi-point). Si le combat se terminait par une égalité, les juges désignaient, en se basant sur les actions des combattants, celui qui avait le plus de mérites en regard de la technique. Les trois arbitres donnaient leur décision, sans possibilité d’égalité, évidemment. C’était simple, dans l’esprit et la pratique.
Mais, pour des raisons d’égalitarisme, plus que de valeur formative, l’arbitrage a changé, se compliquant sans cesse et les actions positives des combattants, se sont « complétées » de sanctions, qui ont ce caractère singulier qu’elles peuvent faire perdre le combat à celui qui totalise trois sanctions, sans que son adversaire ait marqué le moindre point, la moindre action positive. Trois sanctions donnent la victoire à l’autre. Un exemple classique : une sanction est prononcée si un combattant sort du carré de combat. Si cela lui arrive trois fois, il a perdu la rencontre. Résultat : les compétiteurs apprennent et cultivent la façon d’utiliser cet artifice pour vaincre. On peut – et cela vient d’arriver aux Jeux olympique, avoir une médaille d’or, parce que l’autre a été sanctionné ! Quelle fierté un combattant peut-il tirer d’une telle victoire ?
Résultat.
Non, le Judo n’est pas mort : il apporte toujours à ses pratiquants ses bienfaits, physiques et mentaux. Mais les catégories de poids et un arbitrage par la négative encourageant à valeur égale, les « trucs » poussant l’autre à la faute ont avili le domaine de la compétition qu’on peut, sans dommage, éviter au bénéfice de la pratique dans les dojos traditionnels qui ne manquent pas. Le Judo de compétition, avide de médailles, n’a plus grand-chose à voir avec l’esprit des préceptes de Jigoro Kano, son fondateur.
Michel Novovitch, 9° Dan.
- Finaliste des Championnats de France 1963
- Equipe de France 1964
- Champion des Etats-Unis Universitaire 1964
- Champion de l’Etat de New York 1964
- Directeur technique de la Fédération Turque de Judo (1969-1971)
- Inscription au Kodokan en 1967 comme San-Dan.
- Auteur de deux manuels de Judo classés dans la bibliothèque du Kodokan.
- Membre du Bujudokai (Avignon) Dojo de Judo Traditionnel.
- Compétiteur du temps où il fallait vaincre pour gagner.