Résoudre les problèmes migratoires : facile ! Heu…

Les empires anciens dans cet hémisphère, essentiellement celui d’Alexandre et celui de Rome, à peu près de la même taille, 5.000 km, s’étendaient, le premier de la Grèce jusqu’à l’actuel Afghanistan et le second de l’Arménie à la Grande Bretagne.

Dans l’autre hémisphère, l’empire chinois ne devait rien en superficie aux empires de l’Ouest, bien que ses composants fussent moins stables.

Carte des flux migratoire. Février 2015, Alternatives Économiques

Mais l’ambition de ces empires était de la même veine : élargir leur influence civilisationnelle, culturelle et éventuellement défensive.

Leur méthode reposait sur la volonté de partage de leurs valeurs séculaires avec les peuples conquis, et avec, dans beaucoup de cas, l’assentiment des populations, dominées par des roitelets, tyrans ou chefs tribaux aux pouvoirs trop absolus « pour être honnêtes ».

Pour résumer, les anciens empires élargissaient leurs frontières, le plus souvent au bénéfice de tous, avec des effets civilisateurs.

Les empires modernes : espagnol, anglais et français se sont enrichis de matières premières, de main-d’œuvre à bon marché et de de soldats pour leurs conflits. Certes, les nationaux des pays conquérants ont pu développer des activités d’abord commerciales, puis semi-industrielles, puis industrielles très profitables, tout en restant, du point de vue de l’urbanisme, d’un ségrégationnisme quasi absolu. Vivre dans le même pays, d’accord, mais chacun chez soi.

Après l’avènement des indépendances, quand les colonies commençaient à coûter plus qu’elles ne rapportaient, les ex-conquérants repartis vers leur pays, ont été remplacés par les couches sociales supérieures des peuples conquis, souvent enrichis par leur intégration aux cercles des colons et peu de choses, dans certains pays, rien dans la plupart, n’a changé.

Débarrassés de ces pesanteurs, les ex-pays coloniaux ont réadapté leurs activités économiques, sociales et culturelles à leurs besoins et à leurs ambitions et l’aventure coloniale est passée dans la fosse aux souvenirs.

Mais les ex-colonisés ont évolué – psychologiquement – avec le monde, et les communications et les médias aidant, ils ont mesuré les distances réelles entre leur niveau de vie et celui que leurs ex-colons avaient bâti, partiellement, sur « leur dos ».

Ce constat n’était ni totalement juste, ni techniquement réel, mais il a suffi aux gens du peuple des ex-colonies pour se convaincre qu’ils avaient un certain droit à ce bien-être auquel ils avaient contribué, bien involontairement ; ce dernier point induisant un sentiment victimologique moralement confortant. En tous cas suffisant pour construire une apologie du droit à une part du bien-être que les ex-colons avaient acquis. C’est ce que les migrants des ex-colonies viennent chercher.

Dans les enquêtes que l’auteur a réalisées in-situ pour sa thèse doctorale (*), il a pu constater que cette appréhension de l’Histoire est constante.

Un individu, un noyau populaire, peuvent être convaincus d’à peu près n’importe quelle théorie, si les qualités rhétoriques qu’on leur propose sont suffisantes.

Convaincre des peuples dont la mémoire collective est ancrée dans plusieurs générations et fixée, outre les facultés mnémoniques, par des sentiments négatifs, souvent des haines, est d’un autre registre, qui dans notre propos contient des valeurs familiales, générationnelles, enracinées par le temps et, comme il est constant dans ces matières, partisanes, qui, avec le passage des années, deviennent des vérités.

Si des inimitiés comme celle qui a séparé l’Allemagne de la France au XX° siècle ont pu en grande partie être résolues, c’est au prix de rapprochements constants, de tentatives de compréhensions mutuelles, (historiques et contemporaines), de recherche et réalisation d’œuvres communes, d’entraide, de constant dialogue politiques et culturels, etc..

Rien de semblable n’a été fait, ni même tenté sérieusement, avec nos ex-colonies. A l’occasion de rencontres diplomatiques, des propos amènes sont échangés, selon l’usage, mais les échanges sérieux n’ont lieu que quand un conflit menace ou que nos intérêts ne sont pas respectés.

La présence actuelle de militaires français au Mali, par exemple, telle qu’elle est définie aujourd’hui, n’a aucun sens. Les Maliens sont des musulmans, comme les djihadistes et les pays de la zone seraient tout à fait capables de construire une défense commune s’ils le souhaitaient vraiment, éventuellement avec une aide d’armement ou de formation. Mais l’immaturité de ces dirigeants qui n’ont pour objectifs que le pouvoir, sans savoir qu’en faire quand ils l’ont, les renvoie à leurs luttes tribales, sans idée ni envie de s’associer à d’autres ethnies qu’ils haïssent ataviquement. L’administration française a découpé l’Afrique de l’Ouest en figures géométriques faciles à gérer, sans tenir compte des réalités politiques internes aux pays de la région, sans considérer les empires Ashanti, SonghaÏ, du Dahomey, des Peulhs, des Senoufous, etc., semant ainsi les graines de désaccords. Encore aujourd’hui, il existe des empereurs de ces pays fantômes, qui ont un pouvoir important. S’ils s’opposent à l’établissement de certaines infrastructures, elles ne se réaliseront pas, ou très difficilement.

Dans de telles conditions, espérer de la part de ces pays l’établissement de systèmes prédémocratiques est une erreur ; une faute, plutôt.

Après de telles prémices, il n’est que normal que l’individualisme prenne une place laissée béante par l’inorganisation étatique de la plupart des ex-colonies.

Les statistiques nous disent que l’essentiel de l’émigration en Afrique est intra-africaine. Les gens migreraient entre pays africains. Ces mêmes statisticiens ne nous donnent pas beaucoup d’éléments sur le « pourquoi ». Ils ne font pas non plus la part des différences importantes entre les pays jusqu’au golfe de Guinée et ceux de l’Afrique subéquatoriale, essentiellement l’Afrique du Sud. Il y aurait là beaucoup à dire, mais hors de notre propos.

Cependant quel que soit le pays d’où part un migrant et celui où il se rend, son mouvement est symptomatique d’une recherche de bien-être.

Tous les anthropologues, les ethnologues, les démographes et les psychosociologues vous le diront : les gens, de quelque pays que ce soit aiment vivre chez eux, en paix, à la seule condition que ce « chez eux » soit vivable.

Un pays vivable est un pays où vous pouvez vous déplacer sans risquer une balle perdue, ou de retrouver, de retour chez vous, une maison ravagée par des vandales. C’est un pays où, quand vous être blessé ou malade, on vous soigne décemment. C’est un pays où vous et votre famille, pouvez vous alimenter suffisamment. C’est un pays où vous et vos enfants, pouvez-vous éduquer, vous former et exercer un métier utile et digne. C’est enfin un pays qui n’a pas pour pays voisin un autre, belliqueux, surtout parce qu’il n’a pas ce que vous avez.

Quelque chose, en somme, comme l’Europe, qui n’a pas eu de guerre, pour la première fois de son histoire, depuis quatre-vingts ans. Peu d’européens ont envie de migrer, ou alors parce qu’il leur manque (un peu), des remèdes aux calamités évoquées juste ci-dessus. Mais le paradis sur terre n’existe pas.

Tout cet amas de truismes pour dire que si les pays pauvres voyaient leur niveau de vie monter, ils n’auraient aucune envie de migrer ; les étrangers seraient des touristes ravis de connaitre votre façon d’être heureux.

Mais l’égalisation des niveaux de vie dans le monde, avec la dynamique actuelle prendrait entre un et trois millénaires.

Si les pays riches entreprenaient une recolonisation « à l’envers » pour parrainer les pays pauvres, il suffirait d’un siècle.

Il y aurait aussi à fixer les limites humanitaires des « souverainetés nationales ». Quand un pays est dirigé par des politiciens corrompus qui s’enrichissent honteusement pendant que leur population meurt de faim, la communauté internationale ne devrait-elle pas réagir, au lieu de larmoyer sur le sort des peuples ? Il suffit de voir, sur les marchés de certains pays, les produits – encore dans leurs sacs d’origine – de l’aide humanitaire internationale, évidemment prévus pour être distribués gratuitement aux pauvres pour comprendre la nature du problème.

L’auteur, qui a vu de nombreux cas de cette sorte, essentiellement dans les domaines alimentaires et sanitaires et qui en a fait état auprès de consulats ou d’ambassades de pays « aidants » s’est toujours vu répondre : « que voulez-vous, ce sont des pays souverains ». Mais ces « pays souverains » survivent aussi avec les aides financières de pays compatissants, qui paradoxalement ont aussi leurs pauvres. A quoi donc servent l’ONU ou les tribunaux internationaux qui statuent sur les Droits de l’Homme ? Est-ce de l’ingérence que de s’assurer que les produits destinés aux nécessiteux leur parviennent gratuitement, comme prévu par les donateurs, plutôt qu’ils ne leur soient vendus ?

Certains pays pauvres sont encore dans l’enfance en matière de justice sociale et de démocratie et leurs peuples doivent être protégés. Qui s’en soucie ?

Il existe en Europe plus de 15 millions de chômeurs ayant une qualification professionnelle. Si chaque pays de l’Union parrainait un pays « à sa taille » qui recruterait des volontaires pour aller améliorer les infrastructures et les organisations primaires – écoles, hôpitaux, agriculture – ces pays aidés feraient un bond d’un siècle en 20 ans. Le financement par le FMI et la Banque Centrale Européenne seraient tout à fait dans leur rôle.

L’auteur à tout à fait conscience de l’aspect utopique d’un tel discours, pourtant, les Romains l’ont fait et comme alors, l’obstacle le plus dur à surmonter serait l’opposition des classes dominantes corrompues.

Mais les romains réglaient la corruption de façon radicale et immédiate, ce que les « bonnes manières » des relations internationales aujourd’hui ne permettent plus : tant pis pour les peuples.

Il nous faut, forcés par la réalité, prendre en compte la démographie de la planète, qui approche les huit milliards, dont la plus grande partie ne vivent pas, mais survivent ; pour l’heure à peu près contenus dans leur pays d’origine, mais jusqu’à quand ? Ça, ça va être autre chose que le grand remplacement de Mr Zemmour…

 

(*) « Psychology in migrants and cross-cultural communication » (Spain, France, Morocco, Pakistan, 2011).

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

You may use these HTML tags and attributes: <a href="" title=""> <abbr title=""> <acronym title=""> <b> <blockquote cite=""> <cite> <code> <del datetime=""> <em> <i> <q cite=""> <s> <strike> <strong>