Dire ce que nous ne savons pas voir et voir ce que nous ne savons pas dire, rude travail de prophète avec la parabole pour dire l’indicible. Les médias avec leur déluge quotidien d’images renforce le voile qui nous rend sourds et aveugles Mais il peut craquer, sous la force du langage, se déchirer, laisser pressentir d’autres forces à l’oeuvre dans le quotidien. Sous la dure contrainte de l’ordinaire, une autre action est présente. A chacun de la saisir, en se laissant raconter des histoires petites ou grandes qui lui permettent de capter ce que personne ne comprend et d’entrevoir d’autres possibles. Le langage devient lieu de toutes les puissances. Q’il parle sur, qu’il parle de, qu’il parle à, il est toujours chemin à l’autre. Dans le commencement est la parole….
Je viens de finir l’« essai sur la puissance des paraboles », de Jean-Marie Le Maire et Bernard Segarra.
J’userai d’une parabole vécue pour donner mon sentiment brut sur cet ouvrage remarquable, du point de vue de la profondeur de pensée et de l’érudition.
Je reçois tous ceux qui frappent à ma porte et j’ai ainsi la visite régulière de croyants de diverses obédiences, comme les Témoins de Jehovah, où d’autres églises (d’ailleurs méprisées par les catholiques « bon teint »). Ces gens, dont le but louable est de sauver mon âme, ont, comme base argumentaire la Bible, ce qui n’est pas une mauvaise lecture. Le problème, c’est que pour un athée, une telle référence est absolument sans effet ! L’histoire romancée du peuple juif depuis la création du monde jusqu’à la déportation à Babylone et la vie, en quatre exemplaires, d’un homme bon ( à l’historicité discutable, dans ses détails) qui a, par le caprice des hasards et de Constantin, envahi le monde romain, au lieu de disparaitre comme ont disparu nombre de sectes issues de ce coin du monde turbulent, ne peuvent, en toute logique (aïe, l’hellénisme !) faire preuve.
D’aucune manière.
Quand on veut convaincre quelqu’un en dialectique il faut s’appuyer sur ses arguments, pas sur les nôtres.
Mais je crois que l’œuvre de Lemaire-Segarra ne tend pas à convaincre, mais plutôt à mieux éclairer ceux qui sont déjà convaincus. Et, à cet égard, ce sera certainement un ouvrage très utile. Ce qu’on lit, tout au long de ces pages, c’est à la fois une explication de texte érudite et un discours apologétique sur l’importance fondamentale des paraboles.
La où, dans l’intention, on pourrait voir une contradiction sémantique, c’est le fait que si la parabole a été utilisée par son auteur d’origine, c’est qu’elle lui est apparue comme le vecteur de communication le plus pertinent, ou il en eut utilisé un autre. On peut supposer que l’Homme-Dieu eut été capable de discours analytiques du même ordre que ceux du livre en cause, peut-être même, divinité oblige, eut-il pu faire mieux.
Quelle est donc l’intention des auteurs ? Expliquer aux hommes de notre temps l’intention pédagogique proposée à d’autres hommes, d’un autre temps, qui, s’ils eussent été enseignés selon la dialectique tu texte proposé, ne l’eussent pas compris, pour des raisons d’insuffisance intellectuelle ? On peut en douter et le monde gréco-romain de l’époque nous enseigne au contraire la puissance de la pensée d’alors, qui fait la base de nos facultés de philosophie d’aujourd’hui.
A la page 7 de l’œuvre, on lit « …la logique de la vie et des idées est plus forte que tout ». On ne peut qu’adhérer à cette assertion, mais la logique (spécialité grecque) s’accommode mal des textes religieux, qui par nature évoquent un monde invisible, imperceptible, difficile objet logique. A moins d’admettre les arguments employés par mes naïfs visiteurs évoqués plus haut, tel : « regardez la beauté de la nature ! n’est-elle pas la preuve de l’existence et de la bonté de Dieu ? ».
On retrouve (page 24), cette dualité dieu-diable, logique-croyance, dans ce constat : « l’ennemi juré d’Israël, l’hellénisme ».
Les auteurs abordent ensuite la Parole en Islam. « En Islam, elle (la parole) descend, pure de toute adjonction humaine, simplement captée et communiquée par le Prophète ». (Pour des auteurs de cette qualité, on attendrait plutôt « Messager » (rasoul) que Prophète (Nabi).)
Dans un travail analytique, peut-être le « politiquement correct » devrait-il céder la place à l’évidence :
Muhammad a été un très grand réformateur. Il a réussi ce prodige, au cœur d’un monde clanique, de changer les liens de sang pour des liens de foi, ce qui a pacifié une société brutale et injuste ; ouvert l’Islam à toutes les races du monde et ainsi établi les prémisses de la grande civilisation Arabe, qui a éclairé plusieurs siècles notre « côté » du monde. L’humanité entière lui doit reconnaissance.
Mais donner un statut divin à un texte construit sur les nécessités d’un chef charismatique inventant les messages opportuns – en temps et signifié – pour la conduite de son peuple, en leur donnant un aval divin ; un texte truffé d’erreurs quant aux textes qu’il vient « confirmer » (la Torah et l’Evangile) ; un texte qui répond, dans sa chronologie réelle (pas celle adoptée par ses successeurs), à l’évolution politique de son Mouvement (versets sur la relation aux Chrétiens et aux Juifs, par exemple) , produisant ainsi des décrets divins servant ses objectifs, est un déni d’évidence.
Promenade dans le texte coranique : II-62, III-23, III70, III-113, III-199, IV-47, V-51, V-82, V-116, XVII-16, et, pour l’aspect « humour », IV-23 et XXXIII-50 à lire à la suite l’un de l’autre).
Enfin, dans l’épilogue, cette déclaration de foi (cela ne peut être que de cela qu’il s’agit) :
« …vingt et un siècles plus tard, le rassemblement des nations, le métissage, la mort des ego(s), la création de réalités nouvelles, sont des réalités ». Ah bon ! est-ce vraiment l’image que donne le monde ?
Je terminerai par une autre parabole : « trois aveugles entrent dans une clairière d’une jungle épaisse : un objet les arrête, qu’ils tâtent. C’est un arbre dit le premier, un énorme serpent dit le second, un mur affirme le troisième ». Ils avaient en fait rencontré un éléphant dont ils avaient respectivement touché une patte, la trompe et le flanc.