Comme sont les absolus physiques – l’infini du temps, de l’espace, du néant – les absolus comme principes, telle la vérité ou le futur, sont-ils des entités limites de la puissance cérébrale de l’être humain, ou seraient-ils franchissables pour des êtres plus intelligents ?
Pour l’espace.
A quel moment, une distance intergalactique devient-elle possible à écrire, mais impossible à mentaliser ? Une galaxie comme la nôtre, qui mesure entre 100.000 et 150.000 années-lumière, supposerait, pour la parcourir diamétralement, d’avancer à la vitesse de la lumière – à peu près 300.000 km par seconde – pendant plus de 100.000 ans, soit plus de trente fois le temps qui nous sépare de Ramsès II ! A 300.000 km par seconde ! Il ne reste que des exposants qui disent exactement les choses dans le monde du calcul et rien dans celui de l’imaginaire.
L’obstacle est-il au niveau de notre capacité de calcul ou de celle de notre imagination ? Nous comprenons parfaitement le principe, mais nous sommes incapables de le transposer au plan du conscient, à celui de l’imaginaire concret. Les choses se brouillent comme se brouille une image qui s’éloigne.
Et pourtant, ces chiffres qui donnent le vertige ne concernent qu’une galaxie, qui, vue de loin, nous apparaitrait comme un point brillant, une étoile comme une autre, comme notre soleil, dont il existe des consœurs des milliers de fois plus grosses…
Il y a peu, aux temps historiques, on discutait des astres sublunaires, ces objets-là étant des étoiles supposées être en orbite entre la Lune et nous ! Mais les gens qui supposaient cela avaient un cerveau comparable au nôtre. Ils n’avaient simplement pas atteint notre niveau de connaissance.
On peut donc espérer que cette connaissance cumulative nous permettra d’atteindre d’autres niveaux de conscience, de compréhension. De reculer les limites de ce qui nous parait aujourd’hui un absolu.
Le problème, lui neurologique, est de connaitre la capacité limite du cerveau humain, si cette limite nous est concevable. Ou s’il pourrait exister des fonctions qui, faute de se trouver en-deçà de notre pouvoir d’appréhension restent pour l’heure lettre morte, mais potentiellement les bases de nos futurs savoirs.
Il y a cependant une grande différence entre savoir que des absolus existent et concevoir ce qui nous en sépare, afin de chercher dans la direction la plus probable leur nature, le moyen de nous en approcher. Et, pour des domaines comparables à l’astronomie-astrophysique, si cette recherche sera à base expérimentale et instrumentale, ou spéculative. Ou le deux, comme cela a été le cas dans la démarche scientifique depuis…toujours.
Il est admis, depuis Einstein, que notre univers est courbe, c’est-à-dire limité. En supposant que notre recherche nous conduise à en avoir une connaissance topographique et structurelle complète, rien n’aura été résolu quant à l’idée d’infini, car, au-delà de ces limites, quel concept faudra-t-il évoquer pour appréhender cet ailleurs. Ou même s’il s’agirait réellement d’un ailleurs.
L’histoire infantile, pour approcher l’idée d’infini, d’imaginer une boîte, dans une boîte, dans une boite, etc…ne résout rien, sauf à décider à partir de quel nombre de boîte on compte décider qu’on est arrivé à l’infini ! Comme dans la réalité conceptuelle, la répétition sans évolution ne mène nulle part, on ne peut qu’espérer que quand la pile des boîtes aura parcouru l’univers courbe, elle entrera dans la boîte originelle, à moins qu’elle ne l’avale.
Cette notion d’emboîtement ramène aux infinis : l’infiniment grand et l’infiniment petit. Si le premier est assez « facile » à entrevoir, comment admettre que la scission d’un quelque chose donne deux « riens » ? Sans rejoindre le paradoxe de Zénon, il faut bien admettre que la matière doit être infiniment fissible ou pas du tout. Qu’il s’agit simplement de moyens. Car si l’agent coupant est fait de matière, il faut nécessairement qu’il soit plus fin que la matière à couper. L’affaire peut être entrevue plus avant si l’instrument est de l’ordre des radiations. Et encore un peu plus loin, si la scission est due à une énergie répulsive intrinsèque aux « ultimes » constituants de l’atome. Les quarks sont à ce niveau, mais s’ils existent comme matière, ils devraient être fissibles. Si la Constante de Lawson nous montre que la fusion atomique a lieu dans des conditions de pressions gigantesques, responsables de l’ « allumage » des étoiles, la fission, elle, d’ordre mécanique, ne porte pas à réflexion sur l’absolu.
Pour l’infini du temps.
Il est encadré par deux adverbes : Toujours et Jamais.
Ces deux adverbes paraissent antithétiques, mais ils ont en commun le fait qu’ils décrivent l’état, dans le temps, d’une stabilité permanente et sans fin. Mais si une chose n’est jamais, cela signifie évidemment qu’elle n’existe pas, pour l’éternité. Bien sûr, à l’inverse, une chose qui est toujours définit son existence pour l’éternité. Donc, dire qu’une chose n’est jamais n’est pas un absolu, car sa non-existence n’est pas soumise à un événement qui pourrait changer son état. Alors qu’une chose qui est toujours existe, et pourrait, un jour, soumise à un événement, changer d’état. Dire qu’elle est toujours, c’est seulement assumer la non-prise en compte du manque de moyens prédictifs de l’observateur. Mais si on admet qu’un événement pourrait altérer l’objet qui existe « toujours », il faudrait aussi accepter que l’objet qui – aujourd’hui- est réputé ne jamais exister pourrait exister un jour ; et que donc, « jamais » et « toujours » ne sont pas des absolus, mais des outils grammaticaux pour approcher un concept de permanence relative.
Le paradoxe de Langevin doit être évoqué se traitant du temps, mais les singularités qu’il décrit montrent « seulement » qu’il existe une plasticité du temps aux vitesses préluminiques. Cette hypothèse, aujourd’hui vérifiée, indique que le temps n’est pas un élément linéaire constant en tous lieux et circonstances. Dans l’état de nos conceptions sur le temps, il faudrait considérer le temps comme omniprésent, mais pas nécessairement absolu, puisqu’il est susceptible de variations inexpliquées. Ces variations sont entendues dans le cas d’une vitesse de la lumière limite de toute vitesse dans l’univers. Si cette vitesse pouvait être dépassée – il faut raisonnablement accepter ce postulat – qu’adviendrait-il des singularités du temps ? est-ce que le cas du temps ralenti du jumeau de L’angevin finirait par s’arrêter ou même changer l’orientation de la flèche vectorielle et aller ainsi vers la naissance de l’univers ? Si le temps peut contenir des variables, toutes les variables sont imaginables.
Autrement dit, peut-on concevoir totalement un système de l’intérieur de ce système ? Et « Dieu » n’est-il pas la cheat sheet qui permet de clouer le bec au théorème d’incomplétude ?
Amitiés !