Le mensonge

mensonge dans le coupleQuand il n’est pas d’origine pathologique, le mensonge, comme déguisement ou occultation de la vérité est – la plupart de temps – une attitude réactionnelle et rationnelle de défense contre une inquisition potentiellement dangereuse.

Il n’est pas dès lors une entorse à la morale ou à son fondement, l’éthique, mais une conduite dont la légitimité est à chercher dans le bien-fondé de l’inquisition.

Un composant d’un couple, par exemple, mentirait moins si l’autre composant était moins inquisiteur, et pas du tout si cet autre composant laissait au premier l’opportunité de décider ce qu’il lui convient de partager.

La capacité, en droit, de ne pas répondre à une question dont la réponse peut incriminer ne signifie en aucune façon que cette possible incrimination soit fondée, mais seulement qu’elle pourrait être interprétée comme telle, mettant illégitimement le questionné en suspicion d’apparente culpabilité.

La plupart des mensonges sont donc des manœuvres d’évitement qui n’aurait pas lieu d’être dans un monde où le respect de l’autre lui laisserait l’opportunité de décider de ce qu’il souhaite exposer à la critique, au jugement, à la vindicte, à la méfiance, à la suspicion, aux valeurs morales ou sociales (souvent les mêmes) des autres.

Le mensonge, comme « faute morale », comme « péché » est une invention de l’autorité, morale ou religieuse, par laquelle celle-ci indique au menteur potentiel (tout le monde !) que la non vérité est une offense à Dieu (ou à la morale sociale) et que la seule conduite protégeant son âme (ou son honnêteté) est de rendre compte de son contenu, sans droit à aucune réserve. C’est la mort du droit à l’intimité. Ce dévoilement ne garantit d’ailleurs en rien le dévoilement de la vérité, seulement ce que le sujet pense être vrai. Ce qui démontre que le but d’une telle inquisition n’est pas la recherche de la vérité, mais seulement l’information sur le contenu de la pensée de l’autre, étant entendu que celui qui a l’information a le pouvoir.

Compte tenu des caractéristiques de la pensée humaine, un monde où tout ce qui se dirait correspondrait à la vérité deviendrait un chaos, car la vérité (non celle des convictions mais celle des faits) peut être une arme mortelle. La vérité absolue étant un domaine parfait, elle est d’une essence nécessairement différente de celle du fonctionnement (même moral) humain.

Un autre aspect intéressant à développer est celui de la détermination de la part consciente du mensonge, de son intentionnalité. Confronté à une situation où l’expression de ce que l’on croit vrai n’est pas souhaitable, mais où une prise de position ne peut être évitée, la construction de la stratégie d’évitement doit être soigneusement réalisée, ou elle sera sans effet et potentiellement incriminatoire. Pour qu’un mensonge soit « efficace », il faut qu’il soit le plus vraisemblable possible, ce qui le rapproche, forcément, d’une « certaine » vérité. L’ignorance de la vérité parfaite est ce qui constitue la marge entre celle-ci et la vraisemblance.

Jusque-là, le mensonge comme instrument de défense serait acceptable, éthiquement.

La faute morale majeure ne réside pas dans le fait d’avoir servi une fable qui permet l’évitement comme défini plus haut, mais dans le fait, autrement grave que, si l’autre croit le mensonge, cela modifie « sa » vérité. Là, on entre dans le domaine du viol. Pour un bénéfice secondaire, on introduit chez l’autre une modification structurelle de la pensée, qui, selon le cas, n’est pas bénigne et, ce faisant, pour « se tirer d’affaire », c’est l’autre qu’on pervertit.

Cette attitude est courante dans la relation parent-enfant, où l’intentionnalité ne peut être niée, bien qu’atténuée en fonction de l’intelligence et du niveau culturel des parents, car il n’est pas douteux que les parents veulent le bonheur de leurs enfants, mais leurs convictions sur la nature du bonheur et sur les chemins qui peuvent y mener laissent place à toutes les erreurs et cette notion même d’erreur n’a pas de référentiel, car l’adéquation de l’éducation à la société évolue comme celle-ci et cette mouvance, permanente, interdit l’établissement de normes stables.

Ce concept, de mentir (ou de modifier la vérité) à quelqu’un « pour son bien » assez semblable, sémantiquement, aux punitions infligées aux enfants (et aux adultes) pour « leur bien », pose avant tout l’éternelle question du droit à décider ce qui est nécessaire au bien des autres, partout où il existe une situation hiérarchique. Et si la question est éternelle, peut-être est-ce parce que ce n’est pas une question, mais une caractéristique de la structure mentale humaine, qui veut que toute hiérarchie donne des droits : les parents sur les enfants, les forts sur les faibles, le pouvoir sur les citoyens, la justice sur les justiciables, les maîtres sur leur élèves, l’officier sur le soldat, le dominant d’un couple sur le dominé, …

Mais toute structure hiérarchique ne procède-t-elle pas de la hiérarchie originelle : la dépendance totale du nouveau-né envers sa mère, qui deviendra celle de l’enfant envers ses parents et ses maîtres, puis celle des sens sur la raison, puis encore celle des échelles sociales, de l’esclavage des transformations du corps, de la soumission de l’être au passage du temps et de l’inéluctable obéissance à la mort ?

Combien puérile est l’ingénue attitude du « il ne faut pas mentir : ce n’est pas bien ! ».

Ce qu’on appelle mensonge devrait être requalifié à partir de constats trouvant leurs bases dans la nature des échanges avec soi-même et avec l’autre, les autres, la recherche de la nature fondamentale de la vérité et les applications de cette recherche et de ses résultats sur la vie individuelle, sociale et leurs implications éthiques. Comme d’ailleurs, intéressante étude, les effets du mensonge dans l’histoire de l’humanité.

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