La Paix

Au Japon, la paix se pense comme état de détachement, proche de l’abstraction du monde, où les contingences de la vie passent dans l’âme comme des nuages d’été, comme un haïku sans paroles, une fleur de cerisier détachée par la brise.

En Inde, personne ne cherche la paix. Elle est dans chaque geste qui assure le jour et le lendemain, quand chaque chose est faite selon le bien et chaque pensée selon la conscience de ce qu’on est, en état et en devenir. La conscience aussi de remplir les devoirs de sa caste.

En Égypte, la paix se médite sous l’écrasante omniprésence des témoins colossaux d’un antique passé fait de mystère et d’ésotérisme, lointain héritage perverti par Rome, puis par Bagdad avant de devenir la source essentielle du pain et de l’eau.

Aux États Unis, la paix ne se médite pas, elle s’édite par les avalanches d’images, de discours et d’auto conviction, bercés par la puissance guerrière et la capacité d’expansion culturelle d’une nouvelle Babylone où chacun est sûr d’être un modèle pour le reste du monde.

En Angleterre, la paix fait partie des règles du jeu. Une sorte de paix endémique dès lors que chacun connait sa place et les droits et devoirs qu’elle implique, garantie par la régularité pendulaire de traditions valant religions, adoucies par le flou des embruns Nord Atlantiques.

Au Brésil, la paix bronzée crie sa conviction d’être vivante par ses exigences de jouissance, son manque total de souci du lendemain et sa contagieuse générosité envers l’autre comme envers soi-même, laissant aux dieux le soin de régler la fuite du temps.

En Afrique, la paix trouve son berceau, d’où elle n’est jamais sortie, dans le spectacle tranquille de la reproduction qui génère les joies et les peines des hasards d’une vie confiante en la nature et sourde au chant de sirènes qui ne pourraient apporter que trouble à cette paix.

En France, la paix post-impériale se cherche, difficile entreprise dans un tourbillonnant boomerang fait de protestations pour tout et d’explosions pour rien. L’impossibilité de nier ses dettes coloniales et la certitude auto satisfaisante d’avoir fait œuvre humaniste.

En Allemagne, on aime la paix, on la savoure et on se jure qu’elle durera éternellement, ou au moins le temps de l’oubli d’un temps où la paix éclatait au moindre roulement de tambour. Le travail constant et bien fait est un moyen astucieux pour envahir le monde d’allemagneries paisibles.

En Suisse, la paix se cultive savamment, avec la bonne conscience que donne le statut de démocratie modèle, doublé d’un généreux cosmopolitisme, propre à maintenir l’oubli des méthodes qui ont acheté cette paix ronronnante en des temps plus houleux.

En Espagne, après quarante ans de paix militarisée, le peuple a découvert les bénéfices de l’alternance politique qui assure un calme social propice aux accords de guitare, à l’insouciance méridionale où la bière fraiche et les tapas ont remplacé l’eau bénite et les hosties. Alléluia.

L’Italie, la nouvelle Rome, nostalgique de ses antiques ascendances, où même les plaques d’égouts portent la mention SPQR, évoquant ainsi le Decumanus Maximus, ou la Pax Romana, imposée par la force, avant d’être remplacée par la Pax Ecclesiae qui a béni les croisades !

L’Algérie, la paix retrouvée après les fratricides luttes pour le pouvoir, cherche en France une nationalité, qu’elle avait avant que l’impatience de jeunes politiciens ambitieux abreuvés de totalitarisme léniniste ne la rende indésirable dans les mondes de liberté.

La Chine de Lao Tseu : « si tu veux la paix, ne donne pas la connaissance au peuple », n’avait pas prévu le développement explosif de la Chine moderne qui a dû ajouter l’enseignement de Confucius, pour qui l’harmonie et la paix sont la conséquence de l’obéissance hiérarchique !

L’Australie vit une paix de l’entre soi, après avoir privé les aborigènes de leurs terres et de leurs droits naturels jusqu’au milieu du XXème siècle où quelques concessions abaissent le niveau de conscience en élevant la consommation de drogue et d’alcool chez les survivants.

La Paix ne peut être le résultat d’accords politiques. Pas davantage celui d’obligations légales ou de compromis, fussent-ils éclairés. Elle ne saurait être le fait du prince, s’il s’en trouvait un désintéressé. La paix est un droit absolu, un bien brutal, comme l’air, l’eau ou le feu. Elle est un préalable à toute approche entre deux êtres humains, deux ou plus tendances philosophiques ou religieuses, deux peuples. Elle est la condition préalable à tout progrès. Elle ne peut être sacrifiée sur aucun autel.

La multiplicité du concept de paix rend une paix universelle improbable.

Une réflexion au sujet de « La Paix »

  1. Quel bel exercice de style et d’ouverture aux diversités! Quel beau sujet aussi.
    Tu attires notre attention sur ce qui nous manque en ce moment où le monde entier écoute les va-t’en guerre

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