Les grandes inventions de l’humanité, dans tous les domaines de la connaissance – et de leurs conséquences – ressemblent fort à une partie de « saute-moutons », où l’Homme et ses créations se haussent alternativement, l’un s’appuyant sur l’autre et les deux composant une échelle fructifère et indestructible.
Quand Ératosthène mesure, avec une précision stupéfiante pour l’époque, la circonférence de la Terre, il en assoit également et définitivement la sphéricité, concept qui ouvre un nombre quasi infini de recherches, telle la nature de la gravité ou les mouvements apparents des planètes.
Quand Al Khwarizmi, au IXème siècle, en Perse, « invente » l’algorithme (en lui donnant son nom), il ne pouvait imaginer l’emploi quasi universel qui en sera fait dans les siècles à venir.
Quand Nikolaj Kopernik remet le Soleil à sa place au centre du système des planètes, permettant de comprendre les mouvements apparents rétrogrades de celles-ci, il ouvre des possibilités de compréhension quasi infinies pour l’époque et il faudra attendre deux siècles pour que Galilée en appréhende la portée.
De nombreux exemples démontrent qu’une intuition géniale, épaulée par le travail acharné d’un grand esprit ouvre un univers fertile, début d’une nouvelle ère dans une ou plusieurs sciences, voire l’apparition de nouvelles sciences.
Edmond Rostand, dans Cyrano de Bergerac, scène XIII, met dans la bouche de son héros ces plaisants vers qu’il sert au Comte de Guiche comme un moyen de voyager vers la Lune :
« Prendre un morceau d’aimant et le lancer en l’air !
Ça, c’est un bon moyen : le fer se précipite,
Aussitôt que l’aimant s’envole, à sa poursuite ;
On relance l’aimant bien vite, et cadédis !
On peut monter ainsi indéfiniment. »
L’image est enfantine, mais elle décrit parfaitement l’évolution du jeu de l’Homme avec ses connaissances. L’Un lance une idée et, si elle est pertinente, Tous la développent, mettant ainsi au service de l’Un les cerveaux des Mille.
Cependant, un autre phénomène limite l’application d’idées géniales au bien commun. L’intelligence moyenne des masses et le niveau de leur savoir obèrent leur capacité à admettre les idées neuves et plus encore si elles sont géniales. D’où les créateurs sont les spécialistes et les foules les consommateurs.
Les impératifs de rentabilité commerciale exigent une réduction de la formalisation des inventions au niveau d’appréhension des masses, de même qu’un accès intuitif pour accéder à l’utilisation des produits drivés. Et le « gap » (fossé) est ainsi créé, qui ne peut aller que s’élargissant.
La conséquence directe est l’utilisation croissante par les masses de systèmes qu’elles comprennent de moins en moins et, comme résultat, l’utilisation de machines qui dominent leur « être » et leur « devenir », de façon aveugle et difficilement réversible.
L’apparition de phénomènes comme les ChatGPT ne suscite, de la part des masses, que des commentaires amusés par des performances stupéfiantes, au point que même leurs créateurs discutent de leurs effets sociaux avant de songer à une future évolution.
D’ailleurs, le développement positif des automatisations, autant en productions industrielles, organisation des entreprises, communications, domaine de la santé, tous domaines sociaux, entraînent une adhésion quasi inconditionnelle laissant peu de place à l’esprit critique.
Enfin, devant les performances du domaine digital, et en les acceptant (avec enthousiasme !), la société post-moderne pourrait bien œuvrer là pour un monde, où les oubliés du « numérique », majoritaires démographiquement, en s’accordant sur une philosophie sociale cohérente pourraient donner raison aux tenants, jusqu’ici « complotistes » des grands remplacements.
L’Homme doit à son espèce tous ses efforts pour repousser les frontières de la connaissance de son univers. Il a aussi le devoir de s’assurer que les applications que ses découvertes permettent n’aient pas de conséquences nuisibles prévisibles sur son espèce.